coulisses

Le doux métier que voilà

Pour ceux qui ne veulent pas plumer leur auteur et qui se demandent comment on en arrive à une heure du conte payante en bibliothèque… Ou tout simplement pour ceux qui ne connaissent rien à ce drôle de métier et aimeraient bien en savoir un peu plus.

Étape 1 : le portrait de l’écrivain

Tableau nº1

L’écrivain est un écrivain, pas une écrivaine, il porte une barbe, s’enferme dans un bureau qui sent l’encaustique, parfois en robe de chambre, l’inspiration n’attend pas ! Il se pose devant une fenêtre avec vue sur — au choix — une forêt, un lac ou l’océan, et il ne se préoccupe de rien d’autre que de coucher sur le papier des mots, des histoires que d’autres liront avec bonheur, plaisir, rage ou agacement.

Tableau nº2

Effacez tout, on reprend.

L’écrivain est un auteur ou une autrice, avec ou sans barbe mais généralement muni d’un ordinateur (plus de temps passé à saisir les manuscrits chez les éditeurs, et hop, une économie, une).

Elle ou il travaille quand elle ou il peut, jonglant souvent avec un ou d’autres métiers parfois par choix, le plus souvent pour pouvoir manger. Son quotidien est aussi émaillé des occupations de la vie courante, faire le ménage, la cuisine, partager sa vie avec des enfants, sa compagne, son compagnon, voire des amants, des maîtresses, des implications dans des associations…

Et comme un livre se vend rarement tout seul, en plus de l’éventuelle promotion faite par l’éditeur, elle ou il est actif sur les réseaux sociaux, promène sa valise et son énergie de salon en salon, d’écoles en bibliothèques et en librairies, avec de grands moments de bonheur parfois et une grande lassitude, aussi — les kilomètres, ça use.

Étape 2 : de l’histoire au livre, le contrat

Son histoire en poche, l’autrice, l’auteur va chez son éditrice, son éditeur. En vrai, elle ou il envoie un mail, ou plusieurs mails, jusqu’à ce que son histoire plaise à un éditeur qui va lui dire « Oui ». Bingo, l’histoire est sur la bonne voie pour devenir un livre.

L’éditeur propose à l’auteur un contrat déjà tout beau tout imprimé, ne reste plus qu’à le signer. Petite (grosse !) remarque : un contrat, ça se négocie de gré à gré (à l’amiable, avec l’accord des deux parties concernées). Donc, OK, le beau contrat est déjà imprimé mais on peut, on doit discuter.

D’abord parce que ce contrat nous engage, auteur comme éditeur, jusqu’à… 70 ans après la mort de l’auteur. Gloups. Quand on voit la valse des livres sur les tables des librairies, surproduction oblige, et le nombre de livres pilonnés (détruits, brûlés, anéantis…) chaque année, on peut s’interroger sur la nécessité de cette clause. Et si on la revoyait à la baisse ? Des contrats signés pour… dix ans, ce serait déjà bien, non ?

Ensuite parce que ce contrat définit ce qui concerne le livre papier, celui qui arrivera en librairie, mais aussi tout ce qui est autour… Par ce contrat, l’autrice, l’auteur cèdent à la maison d’édition tous les droits qui y sont listés.

  • La version numérique (à quel prix ? Comment ? Avec ou sans ces fichus DRM qui nous pourrissent la vie, vous savez, ces “cadenas numériques” qui font que le livre numérique qu’on a payé quasi le prix d’un livre papier pour le lire sur notre tablette ne fonctionne plus quand on change de marque de tablette…).
  • Les droits de traductions.
  • Les produits dérivés en tous genres.
  • Les droits d’adaptation audiovisuelle (là, c’est un contrat “annexe”, qu’on est libre de signer ou pas).
  • Les droits de représentations, théâtrales et droits de lectures publiques (on reviendra sur ce point).
  • Les droits de prêt en bibliothèque, ceux de copie privée…

Tout ce que l’histoire qu’on a confiée à la maison d’édition peut générer comme droits monnayables  figure dans le contrat. En discuter ensemble, le faire modifier si besoin avant de le signer est la moindre des choses…

Certains de ces droits d’auteur sont versés à l’auteur par l’éditeur une fois par an. Si si… vous avez bien lu : une fois par an, six mois maximum après un point sur les comptes qui a lieu le 31 décembre de chaque année. Comment ça « avec les ordinateurs ont pourrait faire plus simple » ? Je sens le mauvais esprit vous gagner… Dans le grand océan des réalités, le monde d’hier se heurte à celui de demain ; au milieu, l’auteur boit la tasse.

D’autres droits transitent par des sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD). On peut citer (dans le désordre) : SOFIA, SACD, SCAM, SAIF, Sacem, ADAGP, SCELF… Gardons ces magnifiques acronymes pour la prochaine étape.

Étape 3 : SPRD et autres acronymes

Ces SPRD sont des sociétés civiles qui sont responsables de la gestion collective de certains droits d’auteurs. Je vous laisse consulter la fiche de la SGDL (Société des gens de lettres) à ce sujet.

Elles sont administrées par des auteurs et des éditeurs ou exclusivement des éditeurs ou encore seulement des auteurs (auteur dans le sens de “père de l’œuvre”, qu’il soit écrivain, photographe, illustrateur, compositeur, peintre…) .

Ainsi, la SOFIA est administrée à parité par un collège d’auteurs et d’éditeurs, elle gère les droits de prêt en bibliothèque et ceux liés à la copie privée.

Voilà aussi de quoi est fait le merveilleux quotidien de l’autrice, de l’auteur… Si vraiment ça vous passionne, je vous laisse en découvrir certaines en cliquant sur les liens.

SACD · SCAM · SAIF · ADAGP · CFC · SACEM · SCELF …

Autant de SPRD, autant de frais de fonctionnement. Nos livres font mal vivre leurs auteurs mais pas mal, voire très bien, tout un tas de sociétés annexes.

Étape 4 : ou comment on en arrive à des absurdités

Je vous épargne les histoires de droit moral (qui est en dehors des histoires de sous), d’Agessa (qui verse nos cotisations à la Sécu), du RAAP (retraite complémentaire), de fiscalité (BNC, TVA ou pas et tutti quanti…) pour arriver à cette histoire de tarification des lectures faites dans un cadre gratuit. Une lecture publique entre sous la bannière du “droit de représentation”. Ce droit, vous vous souvenez, étape “contrat”, l’auteur le cède, le donne en gestion à l’éditeur. Faute de pouvoir le quantifier facilement ou d’avoir assez de personnel pour le gérer, l’éditeur le cède à son tour à une SPRD (étape 3 “SPRD & Co”).

Jusque-là, c’est la SACD, la société des auteurs et compositeurs dramatiques, qui gérait les droits de représentation concernant les lectures publiques. La SACD est une société d’auteurs, « une société civile à but non lucratif fondée par les auteurs réunis autour de Beaumarchais en 1777 ». Il y avait bien un tarif concernant les lectures publiques, mais la SACD n’était pas tombée dans le ridicule en exigeant des bibliothèques un paiement pour les lectures qu’elles organisent et qui sont gratuites pour le public. Des lectures indispensables, qui portent nos livres et les font émerger des tonnes de livres marketés.

Depuis le 1er janvier 2016, la SCELF a été mandatée par la majorité de ses membres, pour percevoir les droits d’auteurs dus au titre des lectures publiques en lieu et place de la SACD.

Personne n’a demandé leur avis aux auteurs… Va-t-on savoir pourquoi ce droit a glissé dans l’escarcelle de la SCELF,  cette SPRD qui a été créée en 1960 « par les éditeurs littéraires et mandatée par ceux-ci pour collecter les droits générés par les multiples formes d’adaptations issues de leurs œuvres. » Donc une SPRD administrée exclusivement par les éditeurs, et qui aujourd’hui se targue de tarifer les heures du conte et autres moments de lecture publique gratuite. Les sommes collectées seraient reversées à moitié à l’auteur, à moitié à l’éditeur et un bout à la SCELF (faut bien quelques frais dans cette ubuesque histoire…). L’auteur lui-même devrait payer quand il lit ses propres textes ?!

De quoi mettre Shéhérazade en colère.

Personnellement, je barre les “droits de représentation” de mes contrats depuis un moment… Si vous voulez lire mes livres gratuitement en public, n’hésitez pas !

 Photos personnelles avec… une maison sur une île, mon bureau en bazar, la signalétique poupée du salon de Bourgoin-Jallieu, le coffre-fort de mon grand-père (vide, mais beau), l’arbre totem dans le jardin de Pernes, la baleine du pavillon français de la Feria de Bogotá, la Shéhérazade de Carole Chaix.
• Merci pour la relecture à mes camarades Alice Brière-Haquet et Vincent Villeminot, compagnons de route de Shéhérazade. S’il reste des boulettes, merci de me le signaler.