Passé ce panneau, plus de moteur, plus de bruit. Que le murmure de l’eau qui coule dans un canal ombré de fleurs bleues et le vol des libellules. Tout autour, des bribes de souvenirs, des phrases arrachées à un livre clef de mon enfance… Il arriva chez nous un dimanche de novembre…
Glacé jusqu’aux moelles, il se rappela un rêve — une vision plutôt, qu’il avait eue tout enfant, et dont il n’avait jamais parlé à personne : un matin, au lieu de s’éveiller dans sa chambre, où pendaient ses culottes et ses paletots, il s’était trouvé dans une longue pièce verte, aux tentures pareilles
à des feuillages. En ce lieu coulait une lumière si douce qu’on eût cru pouvoir la goûter. Près de la première fenêtre, une jeune fille cousait, le dos tourné, semblant attendre son réveil… Il n’avait pas eu la force de se glisser hors de son lit pour marcher dans cette demeure enchantée. Il s’était rendormi… Mais la prochaine fois, il jurait bien de se lever. Demain matin, peut-être !*
Cette maison, je la connais depuis trente ans. Posée entre un torrent et un étroit canal, au cœur d’une forêt de feuillus et de séquoias, elle est figée dans le temps. Fards à paupières vieillis, les peintures sont saturées d’ombres et de lumières. La brique affleure un crépi désolé. Chaque fois que j’arrive devant, ce même calme m’envahit. Ça y est, j’y suis. C’est ici qu’Augustin et François se sont reposés, un jour d’aventure. D’autres fins possibles surgissent, Augustin élevant sa fille dans cette maison, Yvonne riant de ce tour de passe-passe fait au destin, Frantz et une nuée d’enfants poussant des boules de bois entre des arceaux plantés dans l’allée de sable, François venant parfois leur rendre visite…
* “Le Grand Meaulnes”, Alain-Fournier (1913).