Jamais de la vie on aurait cru voir ça… C’est la phrase de ma mère, ce matin, au téléphone. Ses mots rejoignent mes pensées d’insomnie. On est sidérés par les images des flammes ravageant ce monument du cœur de Paris parce qu’on ne pouvait pas imaginer sa destruction, ou plutôt imaginer que Notre-Dame soit défigurée, parce que Notre-Dame était éternelle. Et déjà dans cette affirmation le passé vient nier le qualificatif.
Aboutissement esthétique, summum de l’art gothique, déesse architecturale et muse de tant d’écrivains, de peintres, de cinéastes, d’artistes, symbole de la beauté, symbole de notre civilisation, de « la » civilisation, de l’Histoire de France et au-delà, symbole de l’énergie que déploie l’homme à se surpasser, à franchir des limites, aboutissement du collectif, joyau religieux bien sûr, mystique, que l’on soit croyant ou athée, Notre-Dame nous appartient à tous.
Elle est tout cela et bien plus, mais elle est aussi symbole… de la vanité humaine. En cherchant à créer l’éternel, l’humain prétend dépasser sa condition, celle de la nature, celle de… sa planète.
Quand je passe derrière elle, souvent à pied, son air de bateau renversé fendant la Seine m’émeut aux larmes… J’ai encore du mal à écrire cette phrase au passé. Je pense aux artisans, charpentiers, tailleurs de pierres, architectes qui ont travaillé sur sa construction en sachant qu’ils ne verraient jamais la cathédrale achevée. Ils étaient les maillons d’une œuvre plus grande qu’eux, magnifique leçon de vie ! Si un tel chantier a pu être fait au nom d’un dieu, qui nous empêche aujourd’hui de penser qu’on peut ouvrir d’aussi beaux chantiers au nom de l’humain et d’un avenir plus juste pour tous ? Que cette folle énergie peut être mise au service de tous ?

On reconstruira Notre Dame, elle aura sa strate architecturale du XXIe siècle, c’est dans la continuation de son histoire, elle qui a été construite et rénovée sur des siècles. Si seulement ce drame nous faisait enfin comprendre que rien n’est éternel, ni les humains, ni leurs œuvres, ni leur planète. Ériger une nouvelle flèche, assembler les poutres d’une nouvelle charpente et penser d’un même élan à préserver notre planète, restaurer un climat dans lequel l’humain puisse continuer à vivre et même, pourquoi pas, à s’imaginer immortel si ça lui chante… Mais en faisant tout, d’abord, pour que l’humanité continue d’exister.
© Photos cécile roumiguière / Prises en avril 2004, un jour de soleil passé à visiter Notre-Dame en famille en se prenant pour des gargouilles…